Lu il y a peu un recueil de nouvelles de Kenzaburô Ôé : sacrifierais-je à un orientalisme de bon ton, si j’en juge par la présence croissante des auteurs japonais sur les tables des libraires ? Non, pas d’effet de mode ici, tant j’ai redouté et refusé durant de longues années une initiation à cette littérature… si ce n’est un Mishima entamé trop tôt et pas achevé… Allons, pas d’excuses !
Trois textes dans ce livre !
Le premier d’entre eux, Le faste des morts, m’a frappé par son sujet dont je ne pense pas qu’un auteur occidental eût pu tirer quelque substance… Je rectifie : qui de nos écrivains aurait choisi d’écrire là-dessus sans sombrer au mieux dans le fantastique, au pire dans l’horreur? Une piscine où les morts nagent en eaux troubles, un narrateur amateur de Racine aux prises avec un sale job, et surtout le poids de la société japonaise au cœur de cette poésie morbide… le curieux pourtant reste que ce morbide nous apprivoise, nous devient presque familier, réconcilie les destins individuels et hiérarchisés dans le flot laiteux d’une cuve : Ultime pied de nez aux castes et autres honneurs un peu mesquins...
Le deuxième texte, Le ramier, d’une autre violence, me rappelle par certains aspects une lecture marquante mais désormais lointaine, Les désarrois de L’élève Törless de Müsil… Ou l’univers impitoyable d’une maison de redressement (et non d’un pensionnat), avec ses lois, ses hontes, ses humiliations, ses petites atrocités, ses rares moments de grâce…
Le troisième texte, Seventeen, explore les mécanismes d’un fascisme à la japonaise, avec cet ado soumis à son désir de puissance et à sa sexualité tourmentée. Sa place conclusive dans le livre me semble tout à fait judicieuse ; j’ai pourtant du mal à en formuler les raisons ! En fait, il me semble qu’une telle idéologie n’apparaît pas ex nihilo, et le lecteur pourra faire autant de liens qu’il le souhaitera avec ce qu’il aura pressenti de la société japonaise dans les récits précédents.