lundi 17 août 2015



Sur Madame Bovary 

 

Je relis Madame Bovary.
Lorsque Flaubert flingue à bout portant et tout à la fois les "bien-pensants" de l'époque, tenants d'une modernité scientiste et anticléricale ou défenseurs d'un conservatisme rural. Sur ce terreau contrasté, mais finalement et objectivement favorable à un ordre social aussi rigoureux qu'hypocrite, évoluent requins et escrocs prompts à se repaître d'une âme empêtrée dans ses rêves et son romantisme suicidaire.
Flaubert, c'est à la fois la poésie des formules, la précision de la plume, le second degré qui en appelle à l'intelligence du lecteur plutôt que l'ironie un peu démonstrative et grinçante d'un Voltaire. C'est la mise en œuvre d'une écriture subversive, qui dresse un portrait hyperréaliste du monde pour en mieux dénoncer le pragmatisme et le matérialisme naissant.
Flaubert, c'est la mort de l’idéalisme romantique, il est vrai carrément nunuche et mâtiné de bêtise, le regard jeté sur la prédation des âmes trop naïves.




lundi 13 juin 2011

Qui sont-ils, qui sommes nous, tous les trois?



Un livre que j'ai adoré!
Ceux qui attendent de Jean Echenoz un roman de facture classique en seront pour leurs frais : l'écrivain est joueur, et nous implique dans son jeu; l'histoire en tant que telle reste un prétexte, dans tous les sens du terme. Le vrai texte vient au-dessus, virevoltant et rusé, fort de cet humour pince sans rire, facétieux, caractéristique d'Echenoz. Au delà des codes convenus du roman, se joue cette partie triangulaire entre trois personnages principaux mais aussi entre l'auteur, le narrateur et le lecteur. Un appel à l'intelligence, mais sans pédantisme, sans la sueur d'un style qui ne se serait pas trouvé.
Bravo, du grand art.

jeudi 30 décembre 2010

Annie et les années


 La preuve et les épreuves du passage d'Annie sur Terre, mais aussi du nôtre, lorsque le particulier se fait universel, au moins pour trois générations... Et quel besoin de se demander si l'auteure peut réellement se souvenir de tout cela ? Là n'est pas l'enjeu ! Seule compte la vérité du regard sur soi, sur le monde dans le tourbillon de l'histoire, des cultures, des idéologies, en bref des "années". Quel sens donner à la vie, après le rugissement et les silences des jours désormais écoulés? Quelles relations dialectiques s'installent entre une conscience et son environnement ?
Et beaucoup d'autres choses, dont un style qui colle au projet : comment traduire la distance requise pour se dire et dire son époque, au-delà du formalisme un peu rigide du "elle" ? Que de pages que l'on achève en pensant "C'est ça! Précisément ça !"...

Une Marguerite ne s'effeuille pas

Un mot sur Moderato cantabile de Marguerite Duras.
Un livre lu il y a de nombreuses années, et l’envie d’y revenir, d’écouter à nouveau cette musique douce d’une histoire violente, passionnelle… Une histoire dont on sait peu, et qu’on imagine et reconstruit en même temps que les personnages  l’évoquent, la vivent et s’y projettent…
Comment dire l’enchantement paradoxal de l’écriture de Duras : ça paraît simple et ça ne l’est pas ! C’est surtout très blanc, très pur… et ça me touche ! Comme si les mots ménageaient en eux un espace qui recueille mon émotion, plutôt que de dire de manière univoque, frontale et de forcer le sens.
L’écriture de Duras est pleine de silence, mais d’une précision extrême : pas de flou, seulement nous faire ressentir notre nudité, notre fragilité, à cet instant ou tout pourrait basculer, ou tout bascule…notre peu de poids aussi dans le cours des choses.
L’histoire d’Anne comme archétype de notre histoire : elle se place d’emblée sous le signe de la répétition, modérée, et chantante…

Plongées en eaux troubles


Lu il y a peu un recueil de nouvelles de Kenzaburô  Ôé : sacrifierais-je à un orientalisme de bon ton, si j’en juge par la présence croissante des  auteurs japonais sur les tables des libraires ? Non, pas d’effet de mode ici, tant j’ai redouté et refusé durant de longues années une initiation à cette littérature… si ce n’est un Mishima entamé trop tôt et pas achevé… Allons, pas d’excuses !
Trois textes dans ce livre ! 
Le premier d’entre eux, Le faste des morts, m’a frappé par son sujet dont je ne pense pas qu’un auteur occidental eût pu tirer quelque substance…  Je rectifie : qui  de nos écrivains  aurait choisi d’écrire là-dessus sans sombrer au mieux dans le fantastique, au pire dans l’horreur? Une piscine où les morts nagent en eaux troubles, un narrateur amateur de Racine aux prises avec un sale job, et surtout le poids de la société japonaise au cœur de cette poésie morbide… le curieux pourtant reste que ce morbide nous apprivoise,  nous devient presque familier, réconcilie les destins individuels et hiérarchisés dans le flot laiteux d’une cuve : Ultime pied de nez aux castes et autres honneurs un peu mesquins...
Le deuxième texte, Le ramier, d’une autre violence,  me rappelle par certains aspects une lecture marquante mais désormais  lointaine, Les désarrois de L’élève Törless  de Müsil… Ou l’univers impitoyable d’une maison de redressement (et non d’un pensionnat), avec ses lois, ses hontes, ses humiliations, ses petites atrocités, ses rares moments de grâce…
Le troisième texte, Seventeen, explore les mécanismes d’un fascisme à la japonaise, avec cet ado soumis à son désir de puissance et  à sa sexualité tourmentée. Sa place conclusive dans le livre me semble tout à fait judicieuse ; j’ai pourtant du mal à en formuler les raisons ! En fait, il me semble qu’une telle idéologie n’apparaît pas ex nihilo, et le lecteur pourra faire autant de liens qu’il le souhaitera avec ce qu’il aura pressenti de la société japonaise dans les récits précédents.

Souffler n'est pas jouer

Jeux de société.
Je remettais sans cesse à plus tard cette lecture : sans raison clairement identifiée, on se dit que décidément ce n’est pas le moment et que l’ouvrage restera encore sur son rayon à prendre la poussière…
Aujourd’hui c’est chose faite, je l’ai lu ! Cela n’a rien d’un exploit, j’y ai pris beaucoup de plaisir, même si l’ensemble me paraît un peu inégal.
Ici, David Lodge dissèque la société anglaise, oppose de façon très dialectique la pensée ultralibérale d’un chef d’entreprise à celle beaucoup plus « gauchiste » d’une universitaire ; thèse, antithèse et synthèse : le réel s’accommode mal du dogmatisme et semble un peu renvoyer chacun à son jardin, lorsque les systèmes ont montré leurs limites.
Mais l’intérêt de l’œuvre ne me semble pas résider dans cette confrontation dont on aura compris qu’elle est un peu stérile, même s’il ne s’agit pas tout à fait d’un jeu à somme nulle. Non, ici, le  bonheur vient de l’humour, de la tendresse de l’auteur pour ses deux héros, de sa férocité pour les autres personnages, de l’adroite mise en abîme de son propre travail…
La fin du roman, peut-être, comme seule réserve : mais il faut bien en terminer et l’enjeu est ailleurs !

Kafka est Japonais!

Comment ouvrir un blog lorsque l’on n’est pas accoutumé  à cette forme d’expression? Pourquoi ne pas commencer au « cœur des choses »?
Alors va pour le cœur des choses, avec l’évocation d’une lecture en cours, celle de Kafka sur le rivage de Haruki Murakami.
Je suis ainsi la fugue de cet adolescent au prénom si connoté, et il me semble qu’à chacun de ses gestes, à chacune de ses pensées, Kafka, c’est moi. Vivrais-je par procuration cette quête dont rétrospectivement j’aurais aimé qu’elle fût la mienne? En tout cas il me plaît, ce gamin, et le « je » de Murakami ouvre le jeu des identifications et autres identités…
Mais ce roman nous plonge aussi dans un Japon en guerre, avec la mystérieuse histoire de ces enfants qui s’évanouissent dans une clairière… Nakata, l’une des victimes de cet événement, amnésique ami des chats et maintenant un homme âgé, décide lui aussi de se mettre en route.
Ma lecture en est à ce point, baignée de poésie et éclaboussée de sang, et la réalité dispute au rêve l’image d’un Japon si paradoxal et pourtant si homogène...